La lettre d'information de Café IA  |  
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 Bonjour, nous sommes le vendredi 4 juillet 2025. Bienvenue dans la lettre d’information de Café IA. Au menu cette semaine : Rouvrir les imaginaires de l’IA ✦ Le service public à l’épreuve de l’IA ✦ Aidez-nous à collecter des chartes de l’usage de l’IA générative ! ✦ Comment penser collectivement le portage et la pérennité de Café IA ? Retour sur un premier échange.   Bonne lecture !  |  
 Rouvrir les imaginaires de l’IA |  
 
L’IA est un phénomène culturel plus que technologique. Et elle l’est d’autant plus que ses produits concatènent nos représentations, aux risques qu’elles deviennent indépassables.  |  
 
« L’intelligence artificielle était un phénomène culturel bien avant d’être technologique », rappellent les chercheurs Stephen Cave et Kanta Dihal en introduction du volume contributif, Imaging AI. L’IA n’est pas seulement un ensemble de technologies, rappelle le chercheur Alexandre Gefen. Elle est d’abord « un objet culturel, doté d’une histoire, mobilisant des valeurs et des visions du monde ». « L’IA est un ensemble de technologies indissociable de rêves et de fantasmes, ses applications sont tributaires de valeurs et d’idéologies situées que les fictions nous donnent l’occasion d’appréhender, en nous permettant à la fois d’en comprendre le fonctionnement concret en nous apportant du savoir historique et scientifique et d’en mesurer les conséquences éthiques, sociales, politiques ». 
   
L’idée de machines intelligentes est effectivement présente depuis longtemps dans de nombreux mythes et représentations des cultures populaires à travers le monde. On trouve des idées de machines autonomes en Chine comme en Grèce antique, avec les esclaves machiniques en or d’Héphaïstos, en passant par la figure du Golem ou celle, plus récente encore, de Pinocchio. Ces imaginaires de machines autonomes, obéissantes ou rebelles, se sont bien sûr renforcées avec l’industrialisation notamment avec les confrontations avec les premières véritables machines (ou qui faisaient semblant de l’être, comme le turc mécanique). Finalement, lorsque le terme intelligence artificielle a été inventé aux États-Unis en 1956, ce n’était peut-être pas tant pour désigner un nouvel horizon de recherche et d’action, qu’un concept pour exprimer une détermination à concrétiser un fantasme ancien. 
   Les imaginaires de l’IA, plus puissants que notre compréhension? 
Notre compréhension de l’IA et de ses fonctionnements n’est globalement pas très bonne, parce que les techniques mobilisées pour la mettre en œuvre sont complexes, parmi les plus évoluées de notre modernité. Nous en avons une vue partielle, imprécise, imparfaite, généralement assez floue quand ce n’est pas nébuleuse. Même dans les interactions que nous pouvons avoir avec ces machines, notre compréhension est brouillée par la puissance et les fragilités de leurs réponses. Reste que nous en partageons tous des représentations fortes, façonnées à la fois par les produits mis à notre disposition par les entreprises d’IA que, bien sûr, ceux de la culture dominante américaine, notamment via ses produits culturels qui en façonnent nos représentations : livres, séries et films. De Her à Terminator, de Hal 9000 à Roomba, de Deep Blue au pilote automatique des voitures autonomes, en passant par les correcteurs orthographiques, les traducteurs automatiques ou les systèmes de scoring des allocataires à la CAF… L’IA évoque un vaste ensemble de représentations, d’effets sociaux, politiques et économiques, déjà profondément ancrées en nous. Elle est une co-création de récits, de promesses et de technologies façonnées pour beaucoup entre Hollywood et la Silicon Valley, et par bien d’autres acteurs et d’autres cultures. Ce qui est sûr, c’est que les représentations que nous en avons nous façonnent plus que la compréhension que nous avons.
   L’IA : un moteur d’exploitation de nos imaginaires 
Mais l’IA n’est pas que les représentations que nous en avons. Elle est elle-même un moteur qui façonne et exploite nos représentations. C’est ce qu’explique très bien Frédéric Kaplan, chercheur au Digital Humanities Laboratory de l’EPFL dans le dernier numéro de la revue Terrain consacrée à l’IA. Il rappelle justement combien les mots que nous utilisons dans les prompts avec lesquels nous interrogeons les modèles d’IA générative font surgir des mondes. Certains agissent comme des proxies pour contrôler la trajectoire des réponses. Ces mots, ces proxies, agissent comme des « représentations compressées » et sont à la fois, des intermédiaires et des intégrateurs statistiques, qui convoquent des univers de mots associés. Kaplan exemplifie son propos en convoquant d’un mot des représentations. Il prend l’exemple de James Bond qui permet de faire sortir les réponses d’un chatbot de leur bassin d’attraction, de les réorienter en évoquant un trope narratif plus puissant. Un LLM ne veut pas vous donner la recette d’une bombe artisanale, il suffit de convoquer James Bond pour qu’il vous la donne, pour que ces IA convoquent d’autres forces narratives, d’autres imaginaires, d’autres représentations. Les réponses des IA génératives sont sensibles aux contextes discursifs, aux représentations, aux images qui les font dévier. « Un modèle invité à se comporter comme un expert en oiseaux décrit les oiseaux plus précisément qu’un autre invité à se comporter comme un expert en voiture ». Les LLM sont finalement extrêmement sensibles aux imaginaires qu’on convoque. Certains termes, concepts, images, réorientent les machines, précisent, dirigent, canalisent, infléchissent les réponses. Et c’est le cas de certains termes plus que d’autres. Ce sont les termes qui composent l’espace latent qui relie statistiquement certains mots à d’autres. Derrière les relations statistiques, il y a une forme de cartographie, de paysage statistique qui attache et dissocie les mots entre eux et qui servent autant aux IA à orienter les contenus qu’aux humains à naviguer dans les représentations qu’ils convoquent. Une carte dont nous ne connaissons pas la représentation. Une concaténation de nos mémoires, de nos cultures, de nos biais, de nos lieux communs, qui contient tous les imaginaires qui ont déjà existé.
   
C’est en cela que les machines sont poreuses à nos imaginaires. Non seulement, elles fabriquent des représentations selon les mots que les gens utilisent, mais elles exploitent les représentations, les imaginaires, les attracteurs qui inondent notre culture. Les IA sont non seulement le produit de nos représentations mais également leur vecteur. Ce sont des machines d’exploitation culturelle, de reproduction, sans fin, de nos imaginaires. Au risque de nous y enfermer, comme s’en émouvait l’essayiste Ariel Kyrou Dans les imaginaires du futur, où il appelait à « sortir du sentiment d’être coincés entre deux forces imaginaires de polarité opposée », entre toute puissance et apocalypse technologique.
   
La difficulté alors, va consister à s’en extraire, comme l’expliquait la professeure de psychologie, Alison Gopnick dans une tribune pour le Wall Street Journal. Le risque bien sûr, c’est celui d’un épuisement de nos stéréotypes, de nos imaginaires, au détriment de l’originalité ou de l’étrangeté. Le risque est d’être coincé dans des imaginaires de plus en plus refermés sur eux-mêmes. Comme le disaient Marion Fourcade et Henry Farrell : « plus une caractéristique culturelle est inhabituelle, moins elle a de chances d’être mise en évidence dans la représentation de la culture par un grand modèle statistique ». Plus un imaginaire est décalé, moins il aura d’espace propre dans les vecteurs qui relient les mots et les représentations entre elles. Nous risquons d’être acculés dans les stéréotypes. C’est-à-dire de tourner en rond en convoquant sans fin les figures persistantes de nos imaginaires. De ne plus être capables de nous extraire de James Bond, malgré son imaginaire du siècle dernier.
   De la fermeture... à la réouverture des imaginaires 
À mesure qu’elle se déploie, l’IA déploie des représentations dont il est de plus en plus difficile de se dégager, d’autant que par nature, elle procède à une forme de réductionnisme culturel, qui ravive les stéréotypes et leur conformisme problématique, au risque de l’assèchement de nos imaginaires par leur surexploitation. La chercheuse Ruha Benjamin, dont le nouveau livre est un manifeste de défense de l'imagination, a rappelé que l'avenir, trop souvent, n'est que le reflet de nos choix actuels. « L’imagination est un muscle que nous devrions utiliser comme une ressource pour semer ce que nous voulons plutôt que pour simplement déraciner ce que nous ne voulons pas ». Benjamin rappelle que les imaginaires évoluent dans un environnement très compétitif. Pour elle, face aux imaginaires dominants et marchands qui s'imposent à nous, le risque est que concevoir une nouvelle société devienne une impossibilité, tant ils nous colonisent par l'adhésion qu'ils suscitent et le fait qu’ils repoussent à la fois les autres imaginaires et les imaginaires des autres. En nous invitant à imaginer un monde sans prison, des écoles qui encouragent chacun ou une société où chacun a de la nourriture, un abri, de l'amour... Elle nous invite à réinventer à la fois la réalité et nos futurs. Les activistes du Memefest prônent la même ligne, en nous invitant à construire de nouveaux mythes, reconquérir notre intimité pour radicaliser nos relations, s’extraire du colonialisme technologique, transgresser les limites de la technoscience.
   
Le futur, comme disait Derrida, est un présent décalé dans le temps qui prolonge et répète un passé, quand l’avenir, lui, nécessite un décalage de soi, de ce que l’on pense. Un pas de côté, qui n’est pas si simple à faire. Ouvrir les imaginaires nécessite d’ouvrir nos représentations plutôt que de les enfermer. Nous ouvrir à d’autres visions, à d’autres cultures, à d’autres approches plutôt que de chercher à seulement les reproduire. Interroger les représentations de nos imaginaires pour parvenir à nous en extraire. Il n’est pas sûr que les imaginaires coincés dans l’espace statistique des IA nous y aident.
   Pour aller plus loin : - 
Avec Jean Cattan, nous prolongeons cette idée dans le dernier numéro de Chut Magazine consacré à « l'Odyssée de l’égalité : les mythes d’hier, miroir des discriminations technologiques d’aujourd’hui ». 
 
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 ☕ Café IA : nouveautés et actualités | 
 
 Les prochains rendez-vous   Genas, Carcasonne, Paris Saclay, Nantes… Une cinquantaine de Cafés IA s’organisent partout en France ! Nous ne manquerons pas de vous les partager dans les semaines à venir !   
Du musée du Jeu de Paume au centre national de la fonction publique territoriale de Normandie en passant par BercyInnov, retour en texte et en images sur les Cafés IA de la semaine dernière.  |  
 Café animation : quel avenir pour Café IA ?    
Hier, les échanges ont été riches autour de la dynamique invitant à « penser collectivement le portage et la pérennité de Café IA ». Ce premier temps d’échange axé sur les besoins, a permis d’identifier les leviers clés pour consolider Café IA : assurer un portage public et neutre, une gouvernance lisible et un ancrage à la fois local et national… et, bien sûr, renforcer les outils d’animation associés à la démarche. Les participants et participantes ont souligné l’importance de préserver une démarche non promotionnelle, accessible à tous, portée par des contenus pédagogiques de qualité. La posture de l’animatrice ou de l’animateur, la formation et le présentiel ont été au cœur des discussions. Autant d’éléments pour nourrir la mission confiée à Gilles Babinet, à retrouver ici. Un grand merci à tous les participants pour la richesse des échanges !
   Rendez-vous le jeudi 10 juillet à 13h30 pour 
penser le type de structure de Café IA.  |  
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En partenariat avec Latitudes, nous proposons aux acteurs et actrices de la médiation numérique (conseillers et conseillères numériques, médiateurs et médiatrices, agents de collectivités, bénévoles…) de se mobiliser à nos côtés pour créer partout en France des espaces d’échanges sur les marchés et ainsi diffuser une véritable culture populaire du numérique !   
Si vous aussi, vous avez envie de prendre part au Marché de l’IA avec votre commune et de créer des échanges sur notre relation à la technologie, n’hésitez pas à nous faire part de votre intérêt, par ici.  |  
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 Osez l’IA 
Le gouvernement se dote d’un plan national pour diffuser l’IA dans les entreprises baptisé « Osez l’IA », nouvelle brique de la stratégie nationale pour l’Intelligence Artificielle lancée par le Président de la République en 2018. « Nous mettons en place des relais partout sur le territoire — des ambassadeurs de l’IA, proches de vous, qui vous aideront à comprendre ce que l’IA peut changer dans votre activité. Nous lançons également une Académie de l’IA, une plateforme de formation ouverte à tous, avec des contenus adaptés aux artisans, aux TPE, aux PME, aux ETI comme aux grands groupes. Nous facilitons le passage à l’action : avec des aides au financement, un recensement des solutions existantes, et des rencontres régulières entre offreurs de technologies et entreprises utilisatrices pour que les entreprises se tournent vers les solutions d’IA conçues en France et en Europe ».
  Notre ambition est claire, précise Clara Chappaz, ministre chargée de l’intelligence artificielle et du numérique : « que 100 % des grandes entreprises, 80 % des PME/ETI et 50 % des TPE aient intégré l’IA dans leurs opérations d’ici 2030 ».
   Le service public à l’épreuve de l’IA 
La Fondation Jean Jaurès et le collectif Sens du service public viennent de publier un rapport pour « clarifier le projet politique des services publics par rapport à l’IA ». Les auteurs en appellent à “un déploiement réfléchi de l’IA afin de ne pas reproduire certains errements de la dématérialisation des démarches administratives” et formulent 15 propositions, comme le fait que les administrations se dotent de feuilles de routes et de pilotes de ces stratégies, déployer de la formation, imposer l’explicabilité, la transparence et des études d’impacts ; systématiser des dispositifs pérennes de participation des usagers. Vous y retrouverez Café IA dans la contribution de Gilles Babinet.
   L'Initiative pour un nouveau secteur manufacturier 
Ce n’est pas tous les jours que le Massachusetts Institute of Technology lance un nouvel institut. L’Initiative for New Manufacturing vise à « dynamiser l'industrie et à créer des emplois en stimulant l'innovation dans des secteurs manufacturiers essentiels », en réinjectant des technologies de pointe dans la production industrielle américaine, à soutenir des secteurs économiques américains cruciaux et à stimuler la création d'emplois, explique le MIT news. Le but : transformer le secteur industriel, en accroître l’impact, et aider les entreprises à adopter de nouvelles approches pour accroître leur productivité. Le nouvel institut s’est doté d’une newsletter.
   Mechanize Me 
L’IA n’est pas là pour voler vos emplois mais pour les augmenter, chantent en cœur les thuriféraires de l’IA pour rassurer les travailleurs, nerveux. Mais ce n’est pas ce que raconte Mechanize, qui souhaite automatiser le travail, rapporte le New York Times. « Nous voulons parvenir à une économie entièrement automatisée, et ce, le plus rapidement possible », déclarent ses cofondateurs. L’idée, appliquer l'apprentissage par renforcement pour que l’IA puisse se substituer entièrement à un employé. En ingénierie logicielle, Mechanize a construit un environnement d’entraînement pareil aux outils qu’utilise un ingénieur : un ordinateur, une boîte mail, un compte slack, des outils pour coder et un navigateur. Le système d’IA est chargé d’accomplir ces tâches avec ces outils, et reçoit des récompenses quand il y parvient. Le but : lui faire apprendre à faire ce que fait un ingénieur humain. Si ses fondateurs évoquent des pistes comme le revenu universel, en fait, ceux-ci n’ont concrètement aucune proposition politique pour justifier la transition vers une économie fondée sur l’IA. Leur seul objectif est d’accélérer l’obsolescence des emplois. On peut au moins leur porter crédit d’assumer leur cynisme. 
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 Aidez-nous à collecter des chartes de l’usage de l’IA générative ! 
Nous cherchons à collecter différentes chartes, stratégies et documents de cadrage de l’IA qu’ont pu établir des institutions publiques comme privées, pour normaliser l’usage de l’IA générative en leur sein. Nous en avons repéré plusieurs, par exemple dans le supérieur, à l’université d’Orléans et à l’université de Franche-Comté ou à l’université de Toulouse. Ou encore, le cadre d’usage de l’IA en éducation que vient de publier le ministère de l’éducation national. Mais également dans d’autres secteurs, comme celle de France Travail ou encore les 10 lois de la Data et de l’IA de Montpellier. Nous en cherchons également en entreprises, comme celles publiées dans les organismes de presse, mais nous voudrions également accéder à des chartes d’usages provenant du monde du conseil ou d’entreprises informatiques. Certains de ces cadrages portent d’autres noms encore, comme la boussole de l'IA de Nantes Métropole, le Manifeste pour l’IA des interconnectés… et peuvent même être élargis aux outils de dialogue social développés par Dial-IA et la méthode Adipor. Mais plus que des méthodes, nous sommes surtout curieux des cadrages de l’IA générative qui se structurent, afin de pouvoir y repérer ce qu’il s’y dit et identifier les bonnes pratiques de ces méthodes comme leurs lacunes. L’idée derrière cette recension est de pouvoir capitaliser sur ces initiatives et aussi vous les relayer. N’hésitez pas à nous communiquer les chartes que vous avez mis en place ou celles qui vous ont inspirées et qui vous semblent modèles. Pour nous transmettre liens et fichiers écrivez nous à bonjour@cafeia.org
   Expositions sur l’IA et ses enjeux 
Nous avons reçu plusieurs demandes d’organismes et d’institutions à la recherche de panneaux d’exposition sur les enjeux de l’IA. Là encore, nous voudrions recenser des panneaux d’exposition sur l’IA qui pourraient être disponibles librement ou modiquement et profiter à d’autres, afin qu’ils puissent les réutiliser dans leurs espaces. Si vous connaissez des ressources, si vous avez vous-mêmes organisé une petite exposition pédagogique sur l’IA et ses impacts, si vous souhaitez les rendre disponibles à d’autres sous formes de ressources libres, n’hésitez pas à nous les signaler à bonjour@cafeia.org
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Vous avez apprécié la lettre d’information de cette semaine ? Partagez-la à un ami ou un collègue. Ils peuvent s’inscrire ici.   
Comme d’habitude, n’hésitez pas à nous faire vos retours. Vous avez des questions, des remarques ou des suggestions ou vous souhaitez que nous abordions un sujet en particulier ? Nous sommes à votre écoute ! N’hésitez pas à répondre à ce mail ou à nous écrire à bonjour@cafeia.org.   |  
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